Interview de Sushina Lagouje,
Professeure, autrice et mère handicapée
Petite présentation
![Sushina [Image d'illustration] Photo de Sushina Lagouje faisant un câlin à sa fille. Cette dernière est floutée pour la protéger au mieux.](https://grossesseimprevue.fr/wp-content/uploads/2025/01/Sushina-220x300.png)
Sushina Lagouje, autrice du livre Une grossesse ordinaire (publié aux éditions Double Ponctuation) nous a fait la faveur d'accepter de répondre à quelques questions. Si son histoire ne s'inscrit clairement pas dans le cadre d'une grossesse imprévue, elle nous paraît représentative du parcours moyen d'une personne handicapée envisageant de devenir parent.
N'hésitez pas à aller lire son livre, ainsi qu'à écouter son interview par Giulia Fois sur Radio France. Enfin, pour rappel, Sushina était également notre invitée dans le podcast Murmures d'Enceintes sur le handicap, partie 2.
Sur ce, bonne lecture !
L'interview
![Café [Image d'illustration] Une tasse de café](https://grossesseimprevue.fr/wp-content/uploads/2025/01/Cafe-300x200.jpeg)
Bonjour Sushina, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis Sushina Lagouje. Je suis atteinte d'une forme de myopathie et en fauteuil roulant électrique depuis mon plus jeune âge. Je suis professeure de français, autrice, et maman d'une petite fille de 3 ans et demi.
Aujourd’hui, tu es donc mère. Le parcours pour mettre en oeuvre ce choix de vie a-t-il été compliqué ? Pourquoi ?
Mon parcours pour devenir mère a été très compliqué. D'abord parce que, pendant très longtemps, je croyais ne pas vouloir d'enfants, simplement parce que j'avais intériorisé le validisme selon lequel une personne handicapée ne peut pas avoir d'enfants.
Quand j'ai réalisé que j'en voulais finalement, c'était à 27-28 ans, et ça a été une révélation assez brutale. Je ne savais pas si mon corps serait capable de mener une grossesse à terme, si une équipe médicale me suivrait dans mon projet, etc.
Avec mon mari, il nous a fallu plusieurs années pour réfléchir à ce sujet et préparer cette future grossesse.
Et quand on a été fin prêts, j'ai multiplié les fausses-couches pendant plus de deux ans. Certaines s'évacuant seules, d'autres découvertes lors des échographies et nécessitant la prise d'un médicament abortif.
C'est quelque chose de très difficile quand on a déjà peu confiance en son propre corps. On a l'impression que le sort s'acharne sur nous et que le corps médical est démuni.
Quelles réticences as-tu rencontré de la part des professionnels de santé ? As-tu eu des doutes sur ta capacité à être mère, au-delà de la grossesse elle-même ?
J'ai eu la chance de rencontrer des personnes qui me suivaient dans mon projet, notamment, des gynécologues, sage-femmes et obstétriciens géniaux.
Là où ça a coincé, c'est avec le pneumologue qui était censé me suivre pendant ma grossesse et qui a déclaré que je ne pouvais pas la poursuivre..., alors que j'en étais à presque 5 mois.
Heureusement, il a refusé de me suivre et a donné mon dossier à un collègue moins obtus, avec qui tout s'est bien passé.
J'ai aussi connu des réticences de médecins lors de mon parcours PMA. Ces derniers me refusaient une stimulation ovarienne, à cause des risques de phlébite accentués par mon handicap, mais aussi à cause des risques de grossesse gémellaire. Ils m'ont laissée multiplier les fausses-couches au détriment de ma santé mentale avant d'accepter que je fasse enfin une stimulation ovarienne... qui a fonctionné du premier coup.
Une fois ma fille née, on a souvent ressenti la réserve ou la suspicion sur nos capacités à s'occuper d'elle, de la part du corps médical ou de professionnelles de la petite enfance. C'est particulièrement angoissant. Cette tendance s'atténue au fur et à mesure que ma fille grandit néanmoins.
De mon côté, paradoxalement, je n'ai jamais eu de doutes sur ma capacité à être une "bonne" mère. Je pense que j'avais assez réfléchi sur moi-même et réglé certains problèmes personnels. De plus, mon expérience de professeure me confortait dans cette idée. J'ai un bon contact avec les enfants et ados, et ils se confient fréquemment à moi.
Tu as dû adapter ton quotidien. Ton conjoint aussi. Peux-tu nous dire à quel point ? Quelles éventuelles difficultés vous avez dû contourner ?
Notre adaptation a été plus facile qu'escompté grâce aux heures allouées par la PCH parentalité. Celles-ci m'ont permis de garder ma fille à la maison en compagnie d'auxiliaires de vie les soirées et certaines demi-journées où je ne travaillais pas, contrairement à mon mari.
Les auxiliaires ont toutes été super, respectueuses de mon rôle de mère tout en créant un lien important avec mon enfant.
Une fois que mon mari rentrait à la maison, il prenait le relais. On a eu la chance que notre fille soit une grosse dormeuse : ça nous a permis de moins nous fatiguer.
On a néanmoins été confrontés à des moments très durs lorsque ma fille et moi avons été hospitalisées la même semaine en raison d'infections respiratoires.
Mon mari ne pouvait pas se couper en deux et on a dû solliciter mes parents pour passer le cap.
C'est arrivé quelques fois que mon mari soit obligé de partir aux urgences en pleine nuit avec notre fille, et c'était également très angoissant.
Le point pénible, c'était les adaptations techniques : donner le biberon ou prendre la petite en portage demandait plus de temps et d'énergie, donc parfois ça me décourageait un peu.
Tu évoques la PCH parentalité, tu penses quoi globalement du dispositif ?
C’est un bon début, mais insuffisant malgré tout : la somme/les heures allouées devraient être plus importantes selon le type de handicap. Et puis ça diminue drastiquement aux 4 ans de l'enfant pour disparaître à 7 : comme si un enfant était autonome à 4 ou 7 ans…
Ma vie est forcément très organisée, très réglée, en raison du handicap et du fait d'être mère. Ça ne laisse pas beaucoup de place à la spontanéité et c'est parfois fatigant.
Ce qui est frustrant, c'est quand le handicap me contraint à être moins présente auprès de ma fille, par exemple quand je fais une infection respiratoire. Ce n’est pas anodin avec mon handicap donc je passe beaucoup de temps alitée, à faire des exercices et appareils respiratoires. J'essaie d'être malgré tout présente et rassurante, mais je vois bien que ça inquiète ma fille.
C'est une culpabilité supplémentaire.
Comme soutiens externes, il y a les auxiliaires de vie, bien sûr, et mes parents, même si on essaie de ne pas trop les solliciter non plus.
Et le papa, il vit votre parentalité comment ? La complicité et l'amour sont des soutiens précieux, non ?
Le papa vit super bien sa parentalité, il a vraiment apprécié de pouvoir cocooner et s'occuper d'un bébé. Le portage surtout.
Ça nous a encore soudés, on essaie d'être fiables et cohérents, de se soutenir.
Un enfant, ça peut mettre un couple en danger parfois, mais ça peut aussi le renforcer.
Quels conseils donnerais-tu à une personne handicapée qui se découvre enceinte et envisage la parentalité ? Aux professionnels qui reçoivent une demande de suivi de grossesse et/ou d'accompagnement à la parentalité d'une personne handi ?
Aux personnes handies, je dirais de se faire confiance, qu'on a beaucoup plus de ressources que ce qu'on croit.
Aux professionnels, je conseillerais de remettre à jour leurs connaissances, de lire les témoignages de personnes avec parfois des handicaps dits "lourds", ayant eu des grossesses sans aucun problème et faisant des super parents.
Je leur demanderais de nous laisser un peu de mou, de ne pas partir dans une surmédicalisation sous prétexte que notre grossesse est plus risquée.
Quelques précisions et ressources
pour finir
Sushina évoque le validisme dans ses réponses. Pour les personnes qui ne connaissent pas cette notion encore assez peu médiatisée, voici la définition qu'en donne Wikipédia :
"Le capacitisme ou validisme1 est un système de valeurs oppressif faisant de la personne dite « valide », sans handicap, la norme sociale2. C'est une forme de discrimination, de préjugé ou de traitement défavorable contre les personnes vivant un handicap". N'hésitez pas à consulter leur page dédiée ICI.